Ecrire un scénario : Technique PMT

Par Stephane 'Docteur Fox' Renard

Rubrique : Analyses
Date : 26 août 2009

Cet article est le premier d’une série destinée à donner des conseils pour l’écriture de scénarios ou de campagnes. Pour ce premier article, nous nous adresserons à un MJ débutant qui a une idée de scénario et qui a l’angoisse de la page blanche…

Ça y est : vous avez donné rendez vous à une équipe de joueurs et vous avez une idée pour votre première mission :

  • l’alliance galactique vous demande de transmettre cette arme secrète à la cellule technologique de la planète Zirgu sans qu’elle tombe aux mains des pirates
  • un riche marchand vous a demandé de retrouver sa fille enlevée par des brigands
  • un chasseur vient d’entrer dans la forêt où les joueurs, des lapins-toons, vivaient heureux.
  • vous êtes des agents du FBI appelés pour enquêter sur un crime atroce.

 


Seulement voilà, une fois l’idée de départ arrivée comme un flash, il vous manque les élements qui s’insèrent entre l’énoncé de la mission et sa conclusion heureuse. Vous avez bien griffonné quelques idées mais vous ne savez pas comment les articuler.

Il existe un principe très simple qui existe depuis le début du jeu de rôles et qui est considéré par certains comme le niveau zéro du jeu de rôles, par d’autres, comme sa quintessence : le PMT ou porte-monstre-trésor. Nous allons bien sûr essayer de le comprendre et d’aller au-delà, car la porte peut être remplacée par une énigme, le monstre, par un informateur qui ne veut pas révéler ses secrets, et le trésor, par un indice !

Le voleur vérifie que la porte n’est pas piégée, la crochète, écoute à la porte pour ne pas être surpris par un monstre, le guerrier entre en premier, toute l’équipe affronte le monstre, se partage son trésor et découvre de nouvelles portes vers de nouvelles pièces…

Avec de telles techniques, une porte qui s’ouvre sur un monstre à tuer et un trésor à gagner, il devient facile, quoique potentiellement fastidieux, de construire une série de pièces remplies d’adversaires à affronter et de trésors à cueillir, le dernier étant l'objectif de la mission, par exemple, la pauvre jeune fille que les joueurs devaient délivrer des brigands.

Construire un scénario devient facile. Soit on fait un scénario linéaire et on dessine une série de pièces qui donnent sur la suivante, soit on fait un scénario avec plus de choix, et chaque pièce a plusieurs portes et il y a même des passages secrets qui donnent accès à d’autres pièces et d’autres trésors. Chaque scénario va donc être construit comme une série de pièces, de PMT, qui mènent de la mission initiale à l’issue finale.

Les portes

Les portes sont les éléments qui permettent de démarrer chaque scène du scénario ; elles représentent également les choix proposés aux joueurs. Les joueurs peuvent se retrouver devant 3 portes de couleur différente, 3 chemins qui mènent à des lieux différents, 4 suspects à interroger, divers lieux à fouiller pour trouver des indices, différents moyens de transport plus ou moins risqués, ou différents moyens d’aborder un problème.

Certaines « portes » ouvriront sur des évenements qui font avancer le scénario et d’autres seront des culs-de-sac, des fausses pistes, voire causeront des retards ou des échecs. Aux joueurs de trouver les bonnes portes. Pour que le scénario ait du sel, il ne faut pas que les joueurs choisissent les portes au hasard. Ils peuvent recueillir des éléments d’information leur permettant de faire le bon choix ou le choix qui leur plaît.

-Vous arrivez en vue de la planète Zirgu. Vous pouvez poser votre vaisseau sur l’astroport impérial ou le poser en cachette dans la forêt. Que choisissez vous ?
-Vous arrivez à la croisée des chemins. Il y a un vieil ermite qui vous indique que la route du Sud mène à une forêt réputée hantée, la route du Nord, aux vieilles ruines de la demeure d’un magicien, et celle de l’Ouest, au donjon d’un seigneur tyrannique.
-Devant vous trois portes, la première semble complètement rouillée et peu utilisée, la seconde est neuve et vous entendez des ronflements, la troisième est scellée par un glyphe magique et une odeur de soufre en émane. Laquelle ouvrez-vous ?

Les éléments de choix ne sont pas forcément donnés tous cuits aux joueurs. S'ils sont suffisament pro-actifs, vous pouvez attendre qu’ils posent des questions pour leur donner les éléments de choix.

-Vous arrivez à la croisée des chemins et vous ne savez pas quelle route prendre. Un vieil ermite somnole contre une pierre. Que faites-vous ?

Il est très important que les joueurs aient le choix de quelle porte ouvrir, et qu’ils puissent aussi trouver les portes (les choix) qui leurs sont proposés.

Il y a quelques mois, j’ai été invité à une partie des Secrets de la 7ème mer, avec un MJ que je ne connaissais pas. Ce MJ nous abreuvait de descriptions interminables et téléguidait entièrement nos personnages. Nous n’avions qu’à lancer quelques dés pour combattre des ennemis trop forts pour nous, puis être obligés de fuir pour tomber dans les bras d’autres adversaires, etc. Quelle frustration : aucune "porte" à choisir, uniquement des événements qui s’enchaînent malgré nous ! Il aurait suffi que nous eussions un minimum le choix de notre destin (voir venir les adversaires, choisir de les affronter ou pas) pour que la partie devînt plus intéressante.

Inversement, il y a quelques années, je participais à un scénario du jeu de rôles occulte Unknown Armies. Nous étions des occultistes enquêtant dans une petit bourgade maritime sur des événements surnaturels qui étaient censés y avoir eu lieu. Nous avons erré dans la ville, rencontrant des personnages énigmatiques que nous ne pouvions aborder et sans savoir où enquêter ni à qui s’adresser. Aucune porte évidente à ouvrir et, après une longue soirée d’errance, nous avons remis aux calendes grecques cette intrigante énigme. C’était sans doute au MJ de nous proposer quelques choix à faire puisque nous étions perdus ; au lieu de cela, il refermait toutes les portes que nous tentions d’ouvrir.

Dernier point : on s’épuise parfois à préparer à l’avance toutes les portes possibles et imaginables. Choisissez les plus évidentes et nécessaires pour votre scénario. Si vos joueurs décident d’ouvrir d’autres portes, d’aller ailleurs que ce que vous avez prévu, il faudra soit improviser pour que ça devienne la bonne porte, soit leur montrer que c’est un cul-de-sac, soit leur donner des indices supplémentaires, soit leur expliquer gentiment qu’il ne faut pas aller par là. Inutile également, pour enrichir vos descriptions, de donner des élements qui pourraient leur donner envie d’aller ailleurs (vous voyez une tour brillante dans le lointain, … eh non, n’y allez pas, c’est juste du décor).

Vous pouvez également construire vos portes en fonction du thème du jeu (voir à ce sujet un de nos précédents articles). Si c’est un jeu de pirates, il faut une carte au trésor sous une forme ou sous une autre, etc.

Les monstres

Les joueurs viennent d’ouvrir une porte et ils vont se retrouver face à un obstacle à surmonter : une créature à vaincre, un vieux majordome qui ne veut pas révéler le secret de famille, une scène de crime à fouiller, une énigme.

Le principe de l’obstacle, c’est qu’il y a des risques à prendre pour avancer, et que les joueurs sont prêts à prendre ces risques parce qu’ils envisagent un bénéfice en retour (le trésor !).

Que votre scénario soit une enquête, une action commando ou une poursuite, les obstacles à surmonter ne motiveront les joueurs que s'ils ont quelque chose à y gagner, et que s'ils pensent pouvoir y arriver.

L’obstacle doit donc être pensé en fonction des capacités des personnages. Si aucun personnage n’a de capacité de persuasion, inutile de mettre de vieux serviteurs qui répugnent à révéler des secrets, il faudra au contraire mettre des indicateurs consentants, qui attendent seulement qu'on leur pose la bonne question...encore faut-il que les joueurs pensent à la poser. Si aucun personnage n’a la capacité d’escalader le haut mur crénelé, il faudra envisager l’existence d’une porte secrète pour le franchir, ou d’un bulldozer pour le défoncer.

Les compétences de vos personnages, qui reflètent généralement les goûts des joueurs qui les incarnent, sont des indices quant au type d’obstacles que vous devez mettre sur leur chemin. S’il y a un pilote, il faudra une course-poursuite. S’il y a un menuisier, il faudra envisager un pont à réparer pour franchir une rivière, s’il y a un cambrioleur, il faudra un coffre à ouvrir. En écrivant votre scénario, dressez une liste des compétences auxquelles les joueurs aimeraient faire appel, et tâchez d’en déduire des obstacles appropriés.

La nature de l’obstacle à affronter ne doit pas toujours être évidente. Un peu de mystère ne nuit pas, ainsi que de laisser les joueurs trouver tous seuls la solution. Comparez les obstacles suivants :

-vous arrivez devant un vieux pont qui grince lorsqu’une bourrasque souffle.
et
-le vieux pont est cassé mais vous avez un tas de planches posé un peu à gauche.

ou

-au centre de la pièce vide, un énorme troll vous regarde avec colère.
et
-la pièce est encombrée de coffres et de débris et votre visibilité est réduite mais vous entendez un grondement qui provient du fond.

Dernier point : l’obstacle ne doit pas être répétitif. Le monstre à affronter aura des capacités différentes, ou le terrain donnera des handicaps différents, il y aura des imprévus, les informateurs ne devront pas toujours être arrogants et secrets, les indices ne seront pas toujours être cachés au même endroit.

Le trésor

Le trésor est la motivation des joueurs, quels qu’ils soient. Il peut être de deux types : soit un élément qui donne aux joueurs la satisfaction de faire avancer l’histoire, soit un élément de récompense personnelle ou collective.

Ce qui peut faire avancer l’histoire, c’est : un indice menant à la prochaine « porte » du scénario, un informateur ou un journal expliquant des ressorts de l’histoire que les joueurs n’avaient pas perçu, un moyen d’éviter un combat ou une situation difficile que les joueurs redoutaient.

Bien évidemment, pour ce qui est des récompenses, des joueurs différents rechercheront des trésors différents : de l’or, des objets magiques ou technologiques, des informations à revendre, de nouveaux alliés, un mentor, de nouveaux défis, des découvertes sur le passé de leur personnage, de nouvelles compétences, échapper à un ennemi, trouver un moyen de réparer son vaisseau, du renom, des points d’expérience. Il faut essayer de satisfaire tous les joueurs.

Le trésor n’est pas à cueillir tout mûr une fois l’obstacle franchi. Il est parfois caché. Il manque parfois (mais pas systématiquement) un mode d’emploi. Il faut parfois le revendre plus tard pour en obtenir quelque chose, ou il faut trouver un traducteur. Le trésor peut être partiel (le début du schéma de montage d’un nouveau moteur, la moitié d’une carte au trésor).

Le trésor peut parfois être teinté d'amertume. Un jeu comme Mouse Guard introduit l'idée de réussite accompagnée de compromis. Si les joueurs n'ont pas obtenu un succès total dans la résolution de l'obstacle, ils obtiennent certes ce qu'ils cherchaient, mais ils sont fatigués, malades, perdus, ou ils se sont fait un ennemi ; bref, un compromis à négocier avec le MJ.  La résolution d'un obstacle ne doit pas être seulement envisagée comme un moyen de gagner un trésor, mais aussi un moyen d'éviter de la fatigue, d'éviter de se faire des ennemis, d'éviter de se faire repérer. Et en fonction des choix des joueurs, et de leur chance aux dés, ils trouveront un trésor, mais aussi une malédiction, une traitrise, un nouveau problème à résoudre ultérieurement, etc.

Le trésor n’est pas hypothétique : si les joueurs franchissent trop souvent des obstacles sans rien obtenir, ils ne seront plus motivés pour risquer leur vie dans cette énième expédition.

Le trésor est à la hauteur des efforts accomplis et du statut des personnages, tout en restant dans le thème du scénario. Il faut parfois garder sous le coude des idées de trésors supplémentaires à distribuer au moment du scénario où les joueurs se seront le plus défoncés.

Voilà, vous êtes partis d’une idée de scénario menant d’un point A à un point B. Vous avez maintenant les outils pour construire les scènes intéressant les joueurs et menant de ce point A à ce point B. Dans un prochain article, nous verrons comment mettre en scène ce premier scénario, comment créer de nouveaux thèmes de scénario, comment détourner l’idée de départ du scénario pour le plaisir de voir les joueurs déjouer le piège, comment articuler les scénarios en campagne et comment impliquer chaque joueur dans le scénario. Bonne première partie de jeu de rôles.

Les illustrations sont tirées de couvertures de The Gateway Bestiary, La Porte des mondes, At your door, et Treasure Chest.