• Xaramis  
    Voici près de 20 ans que P&G est entré dans ma collection de JDR, en même temps que Flashing Blades (un autre jeu sorti chez FGU). En même temps aussi que le wargame Wooden Ships and Iron Men (sur carte à hexagones). Il faut dire que je suis tout à la fois passionné d'histoire du XVIIIème siècle, de marine à voile, d'aventures de cape et d'épée, de jeu de rôle (JdR) et de jeu de guerre (JdG). P&G ne pouvait donc m'échapper.
    Du point de vue de la prise en main, P&G m'a fait la même impression immédiate que les autres jeux de cet éditeur que j'ai achetés à la même époque (Bushido, Daredevils et, à un moindre degré, Flashing Blades / Les Trois Mousquetaires) : dépouillement total de la mise en page, illustrations... euh... médiocres (en dehors des reproductions de gravures et peintures d'époque), difficulté à me repérer dans le plan de l'ouvrage. Et, pour P&G, la lecture a confirmé cette première impression de densité frisant le fouillis.

    Dans cette critique, je vais séparer mon ressenti sur la partie JdR et sur la partie JdG.

    Passons rapidement sur le système de simulation du JdR, qui était, globalement, en phase avec ce qui se faisait à l'époque, et qui était finalement assez simple par rapport à d'autres productions de chez FGU (ce n'est pas Space Opera...).
    Venons-en plutôt à ce qui fait l'essence d'un JdR, à savoir le type d'aventures dans lesquelles on peut entraîner son perso. Et c'est là que le bât peut commencer à blesser. En effet, P&G est très orienté sur la carrière d'officier de la marine de guerre, et tout particulièrement dans la Royal Navy (une orientation très sensible dans les quelques suppléments qui sont sortis pour ce jeu, comme "The King over the water", ou "Decision at Djerba"). Alors, avec P&G, il se passe un peu la même chose qu'avec la lecture des romans maritimes contant les aventures d'officiers de marines (en français et en format de poche, on trouve facilement la saga de Hornblower, racontée par C. S. Forester, ou celle de Jack Aubrey, sous la plume de Patrick O'Brien) : ou bien on est fan (et on connaît les noms des cordages, et on sait distinguer le petit perroquet du grand cacatois et un lougre d'un cotre, et on peut visualiser dans sa tête les évolutions d'un navire qui vire de bord), ou bien on décroche.
    Dans P&G, si jamais vous jouez avec un MJ qui colle aux règles et que vous tirez, comme affectation de votre frégate, "blocus d'un port", vous risquez de passer de mauvaises semaines à vous faire botter le cul par la vilaine houle d'hiver devant Brest. Idéal comme perspective pour une partie de JdR. Je vois des joueurs qui en frémissent déjà de plaisir.

    Bref, P&G, c'est un JdR pour spécialistes (ou pour masochistes), si l'on s'en tient au jeu lui-même et aux informations qu'il donne dans ses livrets. Et pourtant, avec de l'imagination ou une bonne bibliothèque (ou, mieux encore, les deux à la fois), il y a de quoi créer de belles et bonnes campagnes de JdR. En fait, ce sont des aspects à peine évoqués, à peine entraperçus dans P&G, qui peuvent donner toute leur saveur à des aventures "maritimes". Ce sont des épisodes vraiment maritimes (poursuite, combats navals, contrebande) alternés avec des épisodes terrestres dans des lieux à empreinte maritime (toute la richesse de la vie des ports, des chantiers navals, du monde trouble des contrebandiers), et des épisodes purement terrestres (que ce soit dans les salons des amiraux pour y négocier une promotion ou dans l'antre d'un géographe pour y dérober des cartes).
    P&G, en tant que JdR, ne fait donc qu'entrouvrir une porte sur la salle au trésor. Mais il faut croire que quelqu'un n'a pas assez graissé les gonds.

    De son côté, Heart of Oak (HoO) est une sorte de JdG mythique. Avec "Close action - Fighting sail" (un JdG sur carte à hexagones), il constitue un des sommets du JdG de la marine à voile. Un sommet de détail, au moins, et sûrement un sommet de complexité. Là encore, c'est un jeu pour les spécialistes.
    La simulation d'affrontements navals du temps de la marine à voile est une tâche complexe, parce qu'un engagement entre voiliers est, à plus d'un titre, une opération très complexe. Pour un joueur débutant dans cette discipline, une bataille navale (même si elle n'oppose qu'un seul navire à un autre) demande de gros efforts, car le nombre d'opérations et de facteurs mis en jeu est grand, à commencer par le simple déplacement du navire. Les règles peuvent donc se révéler difficiles à prendre en main pour quelqu'un qui n'aurait pas de notions de base en matière de marine à voile. Ce défaut est accentué par le fait que HoO manque d'illustrations. Certaines notions, comme les "allures" au vent, la toile envoyée ou les manœuvres ne sont pas directement assimilables au travers d'un texte.
    La diversité des navires et de leurs appellations, à l'âge d'or de la marine à voile, a de quoi assommer plus d'un néophyte (elle assomme nombre de connaisseurs). En outre, les dénominations et les classements des navires ont varié d'une époque à l'autre, et d'un pays à un autre. Il est donc difficile de présenter, de manière succincte et compréhensible, cette diversité à un non-spécialiste (combien de ponts, ou de mâts, a une corvette ? Et un vaisseau de premier rang ? Quelles formes ont les voiles d'un cotre ? Quelles sont les tailles respectives des navires ?)

    HoO est un jeu très détaillé, qui aborde des aspects multiples (depuis le temps qu'il faut pour remonter une ancre au virement de bord vent debout), mais il lui manque une présentation didactique, une progression du discours permettant à un lecteur non-spécialiste d'aborder les questions une par une. Sans parler du fait que le vocabulaire technique n'est pas, en français, à la portée du premier venu. Alors, en anglais, mieux vaut vous munir du Harrap's en quatre volumes (je ne rigole pas, si vous vous en tenez au Harrap's Shorter, vous serez bien en peine).
    Pour ma part, je me suis attelé, voici une dizaine d'années, à une double tâche :
    - d'une part, la traduction complète de HoO, pour mon usage personnel, ce qui m'a permis de m'imprégner complètement des principes et règles du jeu ;
    - d'autre part la réorganisation de la présentation de ces règles, dans leur version française, pour en faire un manuel d'apprentissage, avec, en premier lieu, une large introduction aux questions spécifiques (depuis l'architecture d'un navire jusqu'au combat au canon), pour une initiation sans douleur.

    HoO n'est pas, à mes yeux, adapté à une simulation d'affrontements navals de grande intensité. Compte tenu de la complexité des règles, du grand nombre de facteurs à suivre pour chaque navire, et de l'échelle de jeu (avec "1 tour = 1 minute", une bataille navale ayant duré 10 heures dans la réalité nécessiterait donc 600 tours de jeu, et ce pour chaque navire engagé et arrivant au bout de la bataille...), il vaut mieux avoir recours à des jeux plus simples et vraiment abordables, comme Wooden Ships & Iron Men.

    Non, là où HoO dévoile tout son potentiel, c'est dans les engagements de faible intensité (un, deux ou trois navires dans chaque camp), dans des situations intenses elles aussi (forcer un blocus, entrer dans une baie sous le feu d'une batterie côtière, faire passer son lougre chargé de tabac de contrebande entre les récifs pour échapper au cotre des douaniers, etc.). C'est là que certaines règles trouvent leur raison d'être, mais c'est aussi là que l'engagement psychique des joueurs est le plus fort, lorsque le succès ou l'échec d'une manœuvre peut décider de l'issue de la partie.
    C'est aussi sous cet aspect-là que HoO trouve sa meilleure liaison avec une partie de jeu de rôle et qu'il démontre ce qu'il est vraiment : un outil très détaillé mais qui aurait pu être plus facilement abordable s'il avait bénéficié d'un plan de livret totalement repensé.

    Pour résumer tout ce qui précède :
    1) pour le jeu de rôle :
    - P&G (dans ses deux livrets "Promotions and Prizes" et "Tradition of Victory") trouvera à être employé comme supplément (genre "background") pour des parties de JdR dans une ambiance XVIIIème siècle, auquel il apportera une connotation maritime ;
    - HoO, une fois ses principes bien digérés par le MJ et les joueurs, devient un outil de qualité pour les simulations d'épisodes maritimes intenses.

    2) pour le jeu de guerre :
    - HoO est à éviter en tant que JdG pour des engagements de grande intensité (affrontements de flotte), pour lesquels des règles plus légères (soit pour jeux avec miniatures, soit pour jeux sur cartes) sont bien mieux adaptées ;
    - pour des engagements de faible intensité (par exemple des combats entre frégates, ou des attaques des navires marchands par des corsaires), HoO prend une saveur bien épicée. Il couvre de nombreuses situations, et il est possible de découvrir les divers aspects des règles peu à peu.