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Ça se passe dans une pièce hermétiquement close. Au milieu, un tigre endormi. Autour, plusieurs ennemis mortels, prêts à s'entre-tuer... S'ils font trop de bruit, le tigre se réveille. Regardez : prudemment, les voilà qui bougent... Le tigre s'étend paresseusement, révèle des crocs comme des poignards.
Ces ennemis, ce sont les groupes antagonistes du monde d'Unknown Armies : Clergé Invisible, Nouvelle Inquisition, Mak Attax... Le tigre, c'est l'opinion publique. Au moindre faux mouvement, le tigre se réveille, et il ne fait pas de quartier. C'est pourquoi des armées secrètes s'avancent dans l'ombre, s'affrontant sur un échiquier silencieux, subtil, fermé.
Le monde repose sur l'existence d'un nombre fini d'archétypes. Des individus (fanatiques, illuminés, choisis ?) accèdent à ce statut d'archétype lorsqu'ils personnifient un concept, une idée, aussi simple que la Mère, ou aussi étrange que l'Homme Sans Maître. Lorsque tous les archétypes seront accomplis, le monde se réincarnera. Telle est la trame de fond d'Unknown Armies, prétexte à des scénarios étranges, qui vont du grand-guignolesque au délire pur beurre. On le pressent dans la petite nouvelle très intimiste qui illustre les règles, le jeu s'intéresse aux individus, à des personnages fragiles et sensibles.
La plupart des jeux de rôles proposent un désavantage "phobie" qui permet de donner un talon d'Achille à un personnage. Ici, chaque personnage est avant tout défini par un ensemble de trois "stimuli" : rage, peur, et noble cause. Dans Unknown Armies, tout le monde a peur, tout le monde peut céder à la colère, tout le monde se bat pour une noble cause. Il suffit de quelques minutes, ensuite, pour allouer un capital de points aux caractéristiques de base et aux compétences.
Les règles sont d'une simplicité désarmante. Tout est noté sur 100, et il suffit de faire un jet de D100 pour déterminer l'issue d'une action. Dans certaines situations, les joueurs pourront inverser les deux dés, augmentant leurs chances de réussite. Le plus étonnant est l'absence de liste de compétences : chaque personnage est doté de huit compétences de base (Bagarre, Culture Générale, etc.), mais ensuite, libre au joueur de déterminer les autres. On trouve tout de même une liste indicative de compétences étonnantes : Jouer les Imbéciles, Mémoire Photographique, etc.
Les auteurs ont visiblement fait un choix, très judicieux, pour établir des règles qui collent parfaitement au background : nombre d'aspects d'ordinaires très détaillés dans les jeux de rôles (poursuites, blessures, etc.) sont ici réduits à des règles élémentaires, tandis que l'accent est mis sur la gestion des phobies et du moral des PJ. Ainsi, les règles de combat sont très simples : un seul jet suffit pour déterminer à la fois la réussite d'une attaque et ses dégâts... des dégâts qui resteront secrets... En effet, les joueurs ne comptabilisent pas leurs " points de vie " : le MJ se contentera de leur indiquer les effets de leurs blessures. Contrastant avec cette simplicité voulue, le passage sur les armes à feu ne se contente pas d'aligner des chiffres, mais détaille les lois sur leur possession, les méthodes du service médico-légal permettant de les identifier, etc. Des renseignements aussi rares que précieux.
Un jeu sur le surnaturel contemporain se doit de comporter des règles de magie novatrices... Et c'est le cas ici. Pas de rituel, pas d'incantations, juste des charges magiques que les Adeptes des écoles délirantes du jeu (magie de l'alcool, de l'argent, de l'histoire, de l'entropie...) doivent accumuler. Plus elles sont difficiles à obtenir (perdre un organe, poser le pied sur la lune), plus l'effet de la magie est extraordinaire (modifier l'histoire, créer la vie !). En réalité, le seul fait de vouloir obtenir une charge majeure peut constituer le centre d'un scénario.
L'humour est un élément majeur du jeu, un humour noir, qui transparaît surtout dans l'explication de certains phénomènes paranormaux et dans le "bestiaire", qui est un bijou (ma préférence va aux "démons"). Cerise sur le gâteau, le scénario d'introduction est complètement "louf", incluant une boucle temporelle, un individu qui se divise en trois, et l'invasion d'extra-terrestres la plus ratée de l'histoire du jeu de rôles (Jésus apparaît en guest star).
Comment faire pour vous en dire du mal ? Disons simplement qu'Unknown Armies n'est pas un jeu simple, et qu'il est essentiellement basé sur la fragilité des personnages. L'héroïsme y est rare, et on est plus proche, question ambiance, d'un film des frères Coen que d'un Bruce Willis. Mais il permet d'interpréter des anti-héros à la Jack Burton ou à la Evil Dead, et de développer des intrigues particulièrement novatrices, comme en témoigne le premier recueil de scénarios, One Shots.
Et c'est ainsi que Shinsei est grand.